CENTENAIRE DES 24 HEURES – UNE HISTOIRE DE MARQUES ⎮ Après 22 ans d’absence sur la plus haute marche du podium depuis Talbot en 1950, trois constructeurs français signent cinq victoires aux 24 Heures du Mans sur les neuf éditions disputées entre 1972 et 1980. Le dernier d’entre eux, Rondeau, n’est pas le moindre et occupe encore aujourd’hui un statut unique dans l’histoire du double tour d’horloge sarthois.
En 1974, Matra achève sur un troisième succès consécutif une histoire mancelle commencée en 1966. Après sa victoire de 1978, Renault-Alpine concentre toutes ses forces sur son autre objectif : imposer la technologie du moteur turbocompressé en Formule 1. A ce moment, Rondeau trace son chemin sur le circuit des 24 Heures depuis deux ans, avec des résultats convaincants et déjà plusieurs victoires de catégorie.
1976-1979 : la fiabilité fait loi
Sarthois né à Champagné, à une petite vingtaine de kilomètres du Mans, Jean Rondeau n’a pas la puissance industrielle de Matra, magnat de l’aéronautique et de l’armement devenu constructeur automobile, ou de Renault, marque à l’époque nationalisée. Lorsqu’il devient constructeur après avoir disputé à trois reprises les 24 Heures en tant que pilote de 1972 (année de la première victoire de Matra) à 1975, il choisit la simplicité et l’efficacité technique.
Jean Rondeau imagine une voiture facile à exploiter, aux formes fluides et harmonieuses, propulsée par un moteur issu de la Formule 1, le V8 Ford-Cosworth 3 litres, qui a fait ses preuves dans la Sarthe en remportant l’édition 1975 dans la Gulf-Mirage de Jacky Ickx et Derek Bell.
Côté financement, il choisit une solution encore peu répandue en Europe, mais courante aux Etats-Unis depuis les années 1950, notamment à Indianapolis : la stratégie dite du « naming », où le nom du sponsor se substitue à celui de la voiture. En 1976, à l’aube du duel entre Renault-Alpine et Porsche, Inaltéra fait sa première apparition aux 24 Heures du Mans.
Cette année-là, les deux voitures engagées sont à l’arrivée, avec une victoire dans la catégorie GTP (Grand Tourisme Prototype, aujourd’hui disparue) pour Jean-Pierre Beltoise et Henri Pescarolo, huitièmes du classement général. En superbe confirmation des conceptions de Jean Rondeau, le pilote constructeur termine quatrième l’année suivante associé à Jean Ragnotti, avec une nouvelle victoire en GTP. En 1978, Inaltéra s’est retiré mais Jean Rondeau poursuit sa stratégie du naming avec de nouveaux sponsors pour des voitures que nous appellerons ici simplement Rondeau.
1980 : Rondeau, une « danse de la pluie » victorieuse
Les voitures du pilote constructeur manceau terminent les deux éditions suivantes dans le top 10 (9e en 1978, 5e et 10e en 1979) et ajoutent deux nouvelles victoires de catégorie à leur palmarès. Au point qu’en 1980, Rondeau se retrouve pour la victoire face à la Porsche de Jacky Ickx et Reinhold Joest. Une situation qui rappelle le duel de « David » Ferrari (qui ne bénéficiait pas encore du soutien de Fiat) contre « Goliath » Ford de 1966 et 67.
Partie de la pole position, la Rondeau M379 d’Henri Pescarolo et Jean Ragnotti est contrainte à l’abandon. Mais au fil d’une édition rythmée par la pluie, le duel pour la victoire oppose dans la nuit sarthoise Ickx et Joest à Jean Rondeau et Jean-Pierre Jaussaud. La course bascule en faveur de l’équipage français le dimanche matin peu avant 10 heures, quand un problème de boîte de vitesses coûte une demi-heure à la Porsche. La Rondeau conserve la première place jusqu’au bout, malgré une ultime frayeur pour Jean-Pierre Jaussaud à trois quarts d’heure du damier : sous une nouvelle averse, il part en tête-à-queue et cale. Il lui faut trois coups de démarreur pour relancer le moteur et conquérir sa deuxième victoire sarthoise, deux ans après celle de 1978 avec Didier Pironi sur Renault Alpine.
A la victoire s’ajoute la troisième place du trio Jean-Michel & Philippe Martin/Gordon Spice (et un nouveau succès en catégorie GTP). Jean Rondeau entre quant à lui dans l’histoire en étant encore aujourd’hui le seul pilote vainqueur au Mans au volant de sa propre voiture. Un exploit qui lui vaut, quelques jours après cette victoire, d’être reçu par le Président de la République française de l’époque Valéry Giscard d’Estaing.
Rondeau M379 et M382, une longévité exceptionnelle
L’année suivante, Rondeau signe un double podium (et une autre victoire de catégorie) derrière la Porsche victorieuse de Jacky Ickx/Derek Bell, avec Philippe Streiff/Jacky Haran/Jean-Louis Schlesser (2e) et Gordon Spice/François Migault (3e). En 1982 et 83, les seules Rondeau à l’arrivée sont respectivement dixième et dix-neuvième, tandis que cette dernière année, les nouvelles M482 sont contraintes à l’abandon.
Après la disparition de Jean Rondeau dans un accident de la circulation en décembre 1985, l’engagement de ses voitures est désormais l’initiative d’équipes privées. On verra ainsi la vénérable Rondeau M379, modèle identique à celui victorieux en 1980, pour la dernière fois sur la grille de départ des 24 Heures en 1988, nouveau signe de la pertinence des choix techniques de Jean Rondeau. Depuis sa victoire, un seul constructeur français a remporté les 24 Heures du Mans : Peugeot, en 1992, 1993 et 2009.
PHOTOS : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS - DE HAUT EN BAS (D.R. / ARCHIVES ACO) : En 1980, la M379 de Jean Rondeau et Jean-Pierre Jaussaud s'impose avec trois tours d'avance sur la Porsche de Jacky Ickx et Reinhold Joest ; en 1977, les trois Inaltéra au départ sont à l'arrivée, en quatrième, onzième et treizième positions ; la troisième place des frères Martin et de Gordon Spice parachève le triomphe de Jean Rondeau en 1980, avec deux voitures sur le podium ; en 1988, la dernière participation de l'increvable Rondeau M379, avec au volant Pierre-Alain Lombardi (qui engageait la voiture) et Bruno Sotty.