Dans les coulisses de Toyota, les ingénieurs sortent de l'ombre
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Dans les coulisses de Toyota, les ingénieurs sortent de l'ombre

Sous les feux des projecteurs, les pilotes sont les acteurs les plus m

Pour comprendre ce qui se passe dans les coulisses, gros plan sur 3 ingénieurs de chez Toyota Racing Mathieu Le Nail et Jean-Philippe Pélaprat, tous deux ingénieurs de piste évoluant respectivement sur les Toyota TS030 HYBRID #8 et #7, mais aussi Jérôme Rochard, ingénieur data, chargé de l'exploitation de toutes les données recueillies sur les voitures.

Ingénieurs de piste et d'exploitation, Mathieu et Jean-Philippe partagent le développement de la voiture durant les essais. Ils travaillent sur la mise au point, valident les nouvelles pièces, élaborent le plan de roulage et gèrent l'équipe d'ingénieurs. Un véritable rôle de coordination qui rappelle celui d’un chef d'orchestre. En course, bien que chacun gère sa propre voiture, il y a quand même une connexion et le travail en équipe prend tout son sens.

Optimisation des performances

Avant de se plonger dans l’endurance, Mathieu a fait carrière en F1, un univers placé sous le signe de la performance pure. Il s’exprime sur ses deux univers si différents :

 « En Formule 1, j'étais ingénieur performance pendant les courses et ingénieur de voiture pendant les tests. L’endurance et la Formule 1 sont des disciplines relativement différentes. La F1 est très axée sur les performance et la stratégie dépend vraiment du niveau de performance de la voiture. En endurance, il y a beaucoup plus de paramètres à gérer. Au niveau technologique, les deux se valent. La Formule 1 est plus pointue au niveau aérodynamique mais les budgets sont également plus importants. Par contre au niveau des systèmes, le niveau est plus élevé en endurance. Pour un ingénieur, les deux présentent un intérêt certain. »

Une grande partie du rôle de l'ingénieur de piste est d’améliorer la fiabilité de la voiture, de s’assurer de la conformité avec le règlement et bien sûr d’essayer de la faire rouler le plus vite possible. Mathieu explique :

«Premièrement, la voiture doit passer les vérifications techniques, puis ensuite il faut définir un plan de roulage pour le week-end. Combien de tours par séance, combien de pneus seront utilisés, l'ordre des relais, quelle quantité de carburant sera embarquée, quelles sont les différentes options de réglage à tester par rapport aux contraintes du tracé... Autant de points qu'il est indispensable de parfaitement maitriser. »

En ce qui concerne les choix spécifiques de chaque ingénieur pour sa propre voiture, il faut collaborer avec le reste du team pour optimiser les taches.

 « Bien sûr, il y a des choix communs aux deux voitures mais nous nous concertons aussi pour décider qui teste quoi afin d'optimiser le temps de roulage. Il y a des points particuliers sur lesquels on travaille plus spécifiquement sur « sa » voiture en fonction des demandes et des besoins des pilotes. Ces détails peuvent différer d'une voiture à l'autre.

Pendant les week-ends de course de Championnat d’Endurance FIA , mon rôle est de définir le plan de roulage et les réglages, en coordination avec les autres ingénieurs, l'ingénieur performance, l'ingénieur moteur, l'ingénieur HV, l'ingénieur données... Comment assembler la voiture, comment la régler et quelles sont les principaux éléments à tester pendant les essais libres ? Pour les qualifications, il faut établir une stratégie de vitesse »

 

Les 24 Heures du Mans en vue…

Point d'orgue de la saison d'endurance, pour les protagoniste de l’endurance mondiale, les 24 Heures du Mans demeurent un rendez-vous incontournable. Mais cette course unique requiert une préparation toute particulière et nécessite un gros investissement de la part de toute l'équipe. Se fixer comme objectif la victoire sur cette épreuve mythique ne s'improvise pas. Après les séances de tests et les deux premières courses du WEC, l'échéance se rapproche...

Pour les ingénieurs de piste, c’est une période très particulière. Un engagement total est requis depuis la Journée Test du 9 juin au passage du drapeau à damiers le 23 juin à 15 heures.

« Les 24 Heures du Mans débutent vraiment par la Journée Test du 9 juin qui nous permet d’accomplir beaucoup de travail. Cette journée d’essais nous donne l’occasion d’avoir une première impression des réglages de la voiture. Même si nous connaissons déjà les exigences de ce tracé, cela permet d'établir un set-up de base. Pour les pilotes, l’enjeu essentiel est de se familiariser de nouveau avec l’un des challenges essentiels au Mans : le trafic. »

S’en suit, une petite semaine pour souffler avant de se plonger véritablement dans le cérémonial des 24 Heures qui, pour la plupart des équipes, débute le dimanche précédent course.« Pendant la semaine des 24 Heures, la première étape est le passage des vérifications techniques avec le pesage médiatisé. Même si cela paraît évident, il faut quand même s'assurer que la voiture est bien conforme au règlement et cela demeure une étape importante.

Les jours qui précédent la course servent aussi à définir les différentes taches pour les mécaniciens et permettent d’établir le plan de roulage avant même que les séances d'essais ne débutent. En effet, le temps est compté entre les deux séances et il est préférable d'être très organisé et d’anticiper au maximum.

Les séances d’essais ont lieu le mercredi et le jeudi. Au total, il y a 6 heures le mercredi dont deux heures de qualification et quatre heures qualification le jeudi. Comme on ne retient que le meilleur temps des trois séances qualificatives pour définir la grille de départ, cela nous laisse une petite marge de manœuvre. On utilise donc le premier jour comme une ultime séance d'essais afin de préparer la course. C'est aussi l'occasion de bien travailler avec les pilotes et de faire des vérifications simples comme la qualité des communications radio en piste, caler le type et la fréquence des informations à leur passer comme le trafic ou les écarts avec les autres concurrents. Tous les pilotes ont leur petites habitudes. Certains sont assez bavards et souhaitent qu'on leur parle beaucoup et d'autres sont plus silencieux.

La première séance de nuit est primordiale pour prendre ses repères dans ces conditions uniques. Quant aux 2e et 3e séances, elles permettent de réaliser le chrono pour déterminer la place sur la grille. Mais au Mans, l’un des facteurs essentiels pour signer un bon temps est la gestion du trafic, il faut donc choisir le moment propice pour faire une tour de qualif’. Le réglage de course est légèrement différent car le but n’est pas une performance absolue, mais plutôt le rendement sur la durée. Le but n’est plus d'être le plus rapide sur un tour mais de se maintenir au niveau optimum pendant 24 heures...

Le vendredi, pas de roulage. Nous peaufinons les derniers détails pour la course et nous faisons en sorte que l'équipe puisse se reposer au maximum en prévision des deux journées suivantes. Toutes les pièces et les situations sont minutieusement préparées pour parer à « l'imprévisible ». Différentes hypothèses sont envisagées et tout est évoqué pour réagir au plus vite en cas de changement de stratégie ou pour faire face à de nouveaux événements de dernière minute. »

Le samedi matin marque le début d'un très long week-end qui conclut une semaine déjà bien chargée. Les séances de qualification se terminant à minuit, l'équipe n'a donc pas bouclé sa journée de travail avant 3h00 du matin... Le team est déjà assez fatigué. Le warm-up de 20 minutes permet juste de vérifier que la voiture est prête pour les 24 Heures et de s’assurer des derniers réglages au cas où il aurait fallu faire des changements majeurs à l’issue des qualifs.

« Quand la course démarre, il faut se caler sur la stratégie et ne pas réagir trop violemment aux évènements sur la piste. Au niveau télémétrie, la gestion de course est principalement axée sur les organes vitaux de la voiture et un peu moins de l’équilibre de la voiture car il n'est plus vraiment possible d'intervenir sur ce point pendant la course. On peut toujours « ajuster » mais il n'est plus possible de « changer ».

Pendant toute la course, tout comme Jean-Philippe, je suis installé sur le muret des stands et je dispose d'une vision globale sur la télémétrie. J'essaye de limiter le nombre des écrans en me concentrant sur les éléments majeurs mais aussi sur les paramètres performance qui permettent de contrôler le plan de marche de la voiture (usure des pneus, des freins par exemple). Ce contrôle intervient tout en restant en liaison permanente avec les autres ingénieurs installés dans le box. Nous utilisons entre nous un système d'intercom radio (vocal) et un système de messagerie instantanée (écrit). Ce suivi des données nous permet d’évaluer l’urgence des informations que l’on transmet au pilote. La communication est un point crucial. Les ingénieurs doivent pouvoir se passer des infos de façon rapide, claire et concise en interne. »

Pendant l’intégralité de la course, les deux ingénieurs de piste resteront sur le pit wall..ce qui nécessite une gestion minutieuse de cet effort physique et intellectuel.

« Pour tenir, il ne faut surtout pas s'exciter en début de course garder son calme et rester lucide. Au final, nous ne sommes pas seuls à regarder toutes ces données, d'autres ingénieurs sont là pour nous soutenir tout en prenant du recul. Cela nous permet, à Jean-Philippe et à moi, d'avoir une bonne base d'infos pour prendre des décisions.

Il peut s'agir de décisions stratégiques comme par exemple le choix des pneus en tenant compte de la température de la piste, ou du nombre de relais à enchainer, de la quantité d'essence à embarquer. Ce changement va-t-il nous aider ? Que font les autre concurrents? Faut-il communiquer certaines informations au pilote ? David Floury, Directeur technique, nous donne aperçu de la stratégie mais il est aussi le trait d'union avec l'autre voiture. Les informations qu’il nous livre nous aident à prendre des décisions. Par exemple, un changement de pneus en raison d'une dégradation prématurée va nous permettre d'anticiper. Pour ce genre d’infos, partager les données est indispensable.

En fonction des données fournies par les autres ingénieurs, je prends des décisions sur les interventions et les transmet au Chef mécanicien qui à son tour va gérer son équipe de mécaniciens pour dispatcher le travail. Sous une seule impulsion les différentes actions s'enchainent. L'équipe toute entière réagit. »

Justement, qu'en est-il de la communication entre le pilote et son ingénieur ? Faut-il systématiquement écouter le pilote ?

« Au niveau des pilotes, la communication est un facteur clé et se fait dans les deux sens. Sébastien et Stéphane ont besoin qu'on leur parle beaucoup, Anthony moins. Il est impératif de leur donner des objectifs tout en les tenant au courant de ce qui se passe autour d'eux. D'autre part, il faut aussi garder un contact permanent avec l'équipe, s'assurer qu'ils sont prêts à intervenir, les informer de ce qui va être fait lors de l'arrêt pour le prochain relais. Le danger serait de s'enfermer dans une certaine routine. Il est donc impératif de communiquer souvent. J'informe le pilote mais je tiens aussi toujours compte de ce qu'il me dit. Même si parfois la réception radio n'est pas idéale, en fonction des informations à ma disposition je suis en mesure de recouper ses impressions avec ce que je vois sur les écrans. Cela nous permet aussi d'anticiper et d'envisager une réponse à un potentiel problème. »

L'ingénieur de piste joue donc un rôle majeur de surveillance et analyse en permanence les informations qui lui parviennent, quelle qu'en soit la source, le pilote ou la télémétrie.

Collecte et exploitation de l'information technique

Un des acteurs de cette chaine d'information est l'ingénieur de données. Chez TOYOTA Racing, ce rôle incombe à Jérôme Rochard. Jérôme est en charge des diagnostics vitaux sur la voiture (moteur, boite de vitesses, châssis...) mais aussi de la stratégie « essence » et consommation en fonction des besoins des ingénieurs de piste.

L’autre facette de ce rôle déterminant est l’évaluation des performances des pilotes. Cela consiste à analyser l'utilisation de la voiture par les pilotes en gardant comme objectif son optimisation afin de gagner un maximum de temps. L'entrée et la sortie des stands, l'utilisation des pneus froids, l'utilisation de la boite de vitesses, du système hybride, tout est disséqué pour être optimisé.

« Grâce aux capteurs installés sur la voiture, je récupère, je traite et j'exploite l’ensemble les données. Je les analyse le plus rapidement possible pour les ingénieurs de piste. Dans le cas des 24 Heures du Mans, 80% du travail doit être fait avant la course. Tous les outils sont prêts avant même d'arriver sur l’évènement et seront ensuite peaufinés sur place en préparant les deux ou trois variables dont nous aurons besoin. A des situations données seront appliqués des solutions déjà établies, grâce à l'expérience acquise sur les courses ou les séances d'essais précédentes.

Dans certains cas, je travaille en solo sur les deux voitures et d'autres cas je suis en réserve des ingénieurs performance qui eux ne travaillent que sur les performances châssis de la voiture. Pendant les 24 Heures, je suis sur le pont du début à la fin, sans dormir, installé dans le camion technique. Je reste sur mes ordinateurs à suivre les deux voitures du début à la fin.

A notre niveau, la journée de tests du 9 juin est très importante car tout ce qui a été préparé doit être validé avant de passer 15 jours plus tard à la course. Nous n'aurons donc que deux semaines pour réagir si il y a des éléments à modifier…

Ingénieur de piste, ingénieur de données ou ingénieur performance, ces hommes de l'ombre n’en demeure pas moins les maitres du jeu...

Marjory Berkache / ACO

Pictures : Les ingénieurs Toyota a leur poste pour travailler sur les derniers reglages des TS030 en vue des 24 Heures du Mans

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