En 1938, l’avionneur allemand Blohm & Voss fabrique plusieurs exemplaires d’un bombardier asymétrique qui, bien que maniable et rapide, ne connaît pas le succès escompté auprès des responsables de la Luftwaffe. Des années plus tard, un Turinois reprend l’idée à son compte, mais sur quatre roues…

Ne manquant jamais d’imagination, souvent de moyens financiers, Enrico Nardi poursuit une quête inlassable de l’innovation depuis sa toute première création en 1932. Considérant l’épreuve des 24 Heures du Mans comme la seule valable pour faire reconnaître ses idées, il entreprend de venir détrôner les Français de chez Renault et Panhard dans leur catégorie favorite des moins de 750cc. Après une première tentative avortée au deuxième tour seulement en 1954 (pompe à eau), il revient l’année suivante avec un projet ambitieux, fruit d’une réflexion peu commune.

Plutôt qu’adapter les formes extérieures à celle du châssis, pourquoi ne pas dessiner une carrosserie idéale d’abord, puis y adapter une charpente ? Suivant cette démarche, Enrico Nardi confie à l’ingénieur-architecte Carlo Mollino l’ébauche d’une voiture très aérodynamique, sans radiateur, qu’il imagine comme une aile. Il y ajoute ensuite les éléments essentiels pour aboutir à une voiture totalement asymétrique constituée de deux fuselages. Le côté gauche abrite le moteur et la transmission ; le côté droit accueille un pilote de petite taille.

Pour augmenter l’efficacité des freins, la voiture est équipée d’un volet aérodynamique placé au centre. L’ingénieux aérofrein est hélas – heureusement ? – remplacé par un strapontin (!) à la veille des essais, le règlement technique exigeant la présence d'un siège passager. Autre innovation, le radiateur est constitué de tubes rectangulaires visant à dissiper la chaleur grâce au flux d’air qui les traverse. Le reste provient de divers véhicules, Lancia Appia ou Fiat 1100, le tout ne pesant que 400 kg.

Aux essais des 24 Heures du Mans, la Nardi Bisiluro se révèle très rapide (220 km/h) et réalise des performances exceptionnelles dans sa classe. Pourtant, les pilotes craignent de se retourner tant la douceur réclamée lors des changements de direction semble extrême. Pire, ils éprouvent les pires difficultés à rouler droit ! Leurs inquiétudes se justifieront en course quand, après seulement 148 minutes, la Bisiluro pilotée par Damonte se fera dépasser, ou plutôt "déventer", par une Jaguar...

Sortie du fossé sans trop de mal pour sa carrosserie et son pilote, la Nardi Bisiluro poursuivra sa vie au Musée National des Sciences et de la Technologie ‘Leonardo da Vinci’, à Milan.

Informations : Museo Nazionale della Scienza e della Tecnologia Leonardo da Vinci

Julien HERGAULT / ACO