Pour gagner les 24 Heures du Mans, il faut parvenir à aligner toutes les planètes : pilotage, stratégie, voiture, exécution dans les stands. Chaque équipe y travaille avec toute sa science de la compétition. Heureusement, cette science n’est pas exacte et le facteur humain a son rôle à jouer dans la plus réputée des courses d’endurance. Aux frontières de la réflexion, de l’analyse et de l’instinct, l’intuition de tous les acteurs est sollicitée.

« Si une idée nous traverse l’esprit et qu’elle nous fait vibrer, alors elle vaut la peine d'être suivie, en tout cas prise au sérieux. Sans nécessairement attendre des confirmations, il est toujours utile d'écouter notre petite voix intérieure. » Ce n’est pas un acteur des 24 Heures du Mans qui est l’auteur de cette phrase, mais Emeric Lebreton, docteur en psychologie (Psychologies Magazine du 16 avril 2025). Cette « idée qui nous traverse l’esprit », cette « petite voix intérieure » est une sorte de zone grise définie comme la connaissance immédiate de la vérité, sans recours au raisonnement, à l’expérience, parfois comme un sentiment irraisonné (Larousse), un pressentiment. Pour Mathieu Jaminet, l’intuition est plutôt guidée par des indices, des signes parfois à peine perceptibles.

« Ce petit truc qui nous fait ressentir les choses. Des fois c’est bon, d’autres moins. On ne ressent pas toujours la même chose que le coéquipier. Je pense que ça vient surtout avec l’expérience. Je crois aussi que certains ont une meilleure intuition que d’autres. Aux 24 Heures du Mans, cela va entrer en ligne de compte plutôt pendant la course, pour s’adapter au déroulé, sur une potentielle sortie de la voiture de sécurité, les slow zones, n’importe quel aléa. On peut avoir une somme de détails, d’indices, d’un peu l’expérience qui nous fait dire que les évènements vont prendre telle direction ou telle autre. »

Le Français reconnaît volontiers que « dans un sport où on essaie de faire tout de façon factuelle et hyper réfléchie, on provoque parfois sa chance en ayant la bonne intuition. […] C’est important de maîtriser tous les paramètres, bien sûr, mais on doit essayer de garder ce p’tit truc en plus de la chance du vainqueur. »

Pour les pilotes en course, la frontière est ténue entre l’intuition, d’une part, et l’expérience, le réflexe, l’instinct ou encore l’automatisme acquis. Ainsi, pour José María López (Lexus RC F LMGT3 #87 Akkodis ASP Team) : « Quand tout se complique, la part de l'intuition devient plus forte. On ne peut pas être une machine parce que les conditions de piste changent tout le temps. Donc, il faut un mélange entre la technique et l'instinct. Il faut s'adapter en permanence. » Célia Martin (Porsche 911 GT3 R LMGT3 #85 Iron Dames) fait référence à ses sensations. « Il y a la théorie : on apprend les points de freinage, les points de braquage par cœur sur simulateur. Et puis, quand on se retrouve pour la première fois sur le circuit du Mans, il faut ajouter une part de feeling. Il faut mélanger la technique et l’instinct. Lorsque l’on parvient à trouver le bon mix, ça fait de bons trucs. »

Dans une zone grise entre l’acte réfléchi et le pur réflexe, l’intuition est importante pour les pilotes que nous avons interrogés. Le pilote de l’Alpine A424 #36 Frédéric Makowiecki renchérit. « L’instinct est fondamental. Très souvent, nous n’avons que peu de temps pour réagir à une situation. Il faut faire ce que l’on pense être le mieux, sans trop réfléchir. Quand on l’explique aux ingénieurs, ils ont du mal à comprendre, mais à 340 km/h, le moindre imprévu peut devenir compliqué. » À ce moment-là, selon le pilote français, l’intuition intervient dans la prise de décision. En course, les cerveaux des ingénieurs, mais aussi ceux des pilotes sont très sollicités. Il faut traiter l’information très rapidement et prendre la bonne décision. Piloter une Hypercar, une LMP2 ou une LMGT3, ou décider des stratégies de course, c’est de la technique, de l’expérience, de l’intelligence. Mais tout n’est pas lisse : les aléas sont multiples et l’intuition aide chacun des acteurs à s’adapter aux conditions. Laissons le mot de la fin à David Floury (directeur technique de l’équipe Toyota Gazoo Racing en FIA WEC) : « En course, on est souvent amenés à prendre des décisions sans avoir tous les paramètres à disposition. On est obligés de faire des estimations sur certains d’entre eux. L’intuition a un rôle en course, mais avec l’arrivée de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle, sa place va se réduire. »

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