Imaginez un instant une épreuve du Championnat du Monde d’Endurance, organisée deux semaines avant les 6 Heures de Spa, qui rassemblerait le plateau mondial sur une route ouverte où seules les voitures de rallye auraient à cœur de s’y aventurer. Une épreuve si particulière que les constructeurs engagés prépareraient des autos à l’architecture spécialement étudiée au profil du tracé. Une épreuve lors de laquelle les concurrents les plus rapides boucleraient un tour en trente minutes, pour une course de seulement dix tours. Une épreuve où les spectateurs se masseraient au bord de la route, aux balcons de leurs appartements et dans de dérisoires tribunes improvisées pour y voir passer les bolides.

Cette épreuve hors norme, totalement anachronique de nos jours a bel et bien existé. Elle eut lieu à partir de 1906 en Sicile et dans le cadre du Championnat du Monde des Voitures de Sport de 1955 à 1973. Le tracé du circuit, absolument extraordinaire, rejoignait les villes de Cerda, Caltavuturo, Scillato, Collesano et Campofelice pour une longueur totale de 72 kilomètres. En comparaison, la grande boucle du Nürburgring avait des allures de circuit club. Cette course fabuleuse s’appelait la Targa Florio et il n’y eut aucun autre événement semblable dans l’histoire du sport automobile...

Devant les tifosi, l’enfant du pays Nino Vaccarella se démène au volant de sa Ferrari 330 P3 Spyder qu’il partage avec son compatriote Lorenzo Bandini. Galvanisé par les banderoles des spectateurs, le sicilien bouscule sa monture, sollicite sans retenue le V12 dans de brutaux rétrogradages dont la mélodie délivrée par les échappements spaghetti réveille la campagne. A l’entrée du village de Caltavuturo, la route étroite et sinueuse s’agrémente de difficultés sournoises. Les trottoirs et les plaques d’égouts deviennent ainsi des obstacles vicieux que Nino ne rencontrent qu’une seule fois par an, sur ce parcours si atypique. Un parcours où les changements de rythme sont tellement nombreux que la déconcentration atteint même les meilleurs pilotes de Monde. Au micro des journalistes, quelques instants avant le départ, ces derniers avouent même ne connaitre le circuit que partiellement tant son gigantisme les perturbe. Un circuit dont la configuration extrême ne pourra s’accorder avec les normes de sécurité modernes. C’est ainsi que le 15 mai 1977, Raffaele Restivo et Alfonso Merendino, au volant d’une Chevron B36-BMW, complèteront une ultime fois le palmarès de la légendaire Targa Florio.

Pierre-Yves Riom / ACO