En 1949, lors de la reprise de 24 Heures après neuf ans d'interruption due à la Seconde Guerre Mondiale, Pierre Louis-Dreyfus (1908-2011) fut l'un des quatre pilotes à prendre le départ au volant de la Ferrari 166 MM. Avec son équipier Jean Lucas, il est malheureusement contraint à l'abandon, mais le premier engagement manceau du constructeur italien s'achève sur la victoire de l'autre voiture de Luigi Chinetti-Lord Selsdon. En dix participations, réparties de 1931 à 1955, Pierre Louis-Dreyfus a signé son meilleur résultat sur Alfa Romeo 8C, avec une deuxième place en 1935. "Mon grand-père avait couru sur Alfa Romeo pendant la période de l'entre deux Guerres et connaissait bien Luigi Chinetti, raconte Peter Mann. Il a couru sous différents pseudonymes, comme "Ferret" (je n'ai jamais su pourquoi il avait choisi ce nom d'emprunt) avant la Seconde Guerre Mondiale et "Heldé" après la fin du conflit, la combinaison de ses initiales. A l'issue de la Seconde Guerre Mondiale, il a fait partie des 120 premiers Compagnons de la Libération. Lorsqu'Enzo Ferrari est devenu constructeur à part entière en créant la SEFAC, celle-ci a été financée en grande partie par des Français, dont mon grand-père."
L'histoire personnelle de Peter Mann avec Ferrari commence dès son plus jeune âge : "Je n'en ai pas gardé souvenir mais il paraît que j'étais un enfant assez énervé... et le seul endroit où je restais calme pendant plusieurs heures, c'était lorsqu'on m'installait dans la Ferrari, avec des coussins pour m'empêcher de tomber." A l'adolescence, il côtoie les proches d'Enzo Ferrari : Luigi Chinetti père et fils bien sûr, mais aussi Franco Gozzi, le bras droit du Commendatore, l'ingénieur Mauro Forghieri, ou encore Charles Pozzi et Daniel Marin, les importateurs français de la marque... Et les 24 Heures du Mans restent toujours en filigrane. "Je devais avoir quinze ou seize ans lorsque je suis venu au Mans pour la première fois, se souvient Peter Mann. A une certaine époque, on pouvait grimper sur les toits des stands pour y dormir et regarder le travail des mécaniciens lorsqu'une voiture s'arrêtait, c'était extraordinaire. J'ai toujours rêvé de courir les 24 Heures du Mans... mais avec un grand-père gentleman-driver, la famille a dit non. J'ai donc attendu le temps nécessaire pour disposer de mes propres moyens pour faire Le Mans. Compte tenu de mon âge (Peter Mann est né en 1956, ndlr), je me suis d'abord lancé en historique et j'ai fait Le Mans Classic en 2012. Un jour, Amato Ferrari (patron de l'équipe AF Corse, représentante de Ferrari en catégories GT, ndlr) m'a pris à part, me disant que j'étais complètement fou de rouler à une telle vitesse avec des voitures d'un demi-siècle d'âge, alors que j'ai cinq enfants à la maison. Je lui ai alors répondu que je n'étais pas assez bon pour faire les vraies 24 Heures... et il m'a rétorqué : "qu'est-ce que tu en sais ?" Après un test à Valence après les Finales Mondiales Ferrari 2012, il m'a dit que je pouvais y arriver, mais qu'il était hors de question d'aller aux 24 Heures dès 2013. Après une saison d'apprentissage en GT, j'ai poursuivi en 2014, avec la joie de gagner la catégorie Gentlemen aux 24 Heures de Spa et d'en remporter le titre, avec en plus une course en European Le Mans Series (ELMS), une autre en Championnat du Monde d'Endurance et mes premières 24 Heures du Mans. Celles-ci se sont malheureusement terminées sur une rupture idiote de cardan vers minuit et demi, alors que les choses se passaient plutôt bien. Mon épouse m'a regardé en me disant : "je suppose qu'on revient l'année prochaine" (rires)."
Donc acte en 2015 : associé à Raffaele Gianmaria et Matteo Cressoni, Peter Mann termine cinquième de la catégorie LM GTE Am au Mans. Dans la foulée, le trio monte sur la troisième marche du podium LM GTE à l'issue de la troisième manche ELMS du Red Bull Ring. "Je vais avoir soixante ans l'année prochaine, tant que je pourrai progresser, je piloterai... mais le jour où je stagnerai, j'arrêterai," indique Peter Mann. Avec, après le podium autrichien, une victoire en point de mire en ELMS ? "L'objectif de ma saison ELMS 2015 est rouler toute l'année sur la même voiture (l'an passé, j'étais passé de la catégorie GT3 au LM GTE, ce que j'avais trouvé parfois difficile). Il reste encore deux courses, donc on peut espérer un moment de bonheur (rires) !"
Jean-Philippe Doret / ACO
Photo : LE MANS (SARTHE, FRANCE), CIRCUIT DES 24 HEURES, 24 HEURES DU MANS, MERCREDI 10 JUIN 2015, ESSAIS LIBRES ET QUALIFICATIONS. En 2015, Peter Mann, ici au volant de sa Ferrari 458 Italia (n°61) recevra son premier drapeau à damier aux 24 Heures du Mans, quatre-vingts ans après son grand-père Pierre Louis-Dreyfus.