Qui était Odette Siko, l’héroïne des 24 Heures du Mans ?
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Qui était Odette Siko, l’héroïne des 24 Heures du Mans ?

L’année 2024 marque les 92 ans d’une performance inégalée aux 24 Heures du Mans. En franchissant la ligne d’arrivée de l’édition 1932 quatrième, Odette Siko a obtenu le meilleur classement féminin de l’histoire. Derrière cet exploit se cache une championne à l’héritage conséquent.

L’attraction du week-end

Il s’impose de revenir au début du XXe siècle afin de comprendre cet épisode. Au sortir de la Première Guerre mondiale, l’heure est à l’émancipation de la femme. En quête de liberté, ces dames s’adonnent à des pratiques nouvelles et s’affirment suivant le modèle de La garçonne. Les activités telles que la danse ou le sport sont prisées durant les Années Folles, et l’automobile n’échappe pas à la règle.

En 1925, l’ACO de Georges Durand organise pour la première fois une épreuve féminine de tourisme entre Paris et La Baule. La presse loue grandement l’association pour cette initiative. « C’est à l’Automobile Club de l’Ouest que revient l’honneur de cette première manifestation qui a connu le double succès d’engagements et de résultats sportifs ». Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, ces femmes imposaient déjà le respect. « […] Témoignant d’un courage, d’une maîtrise et d’une endurance que beaucoup d’hommes pourraient envier. » Cette observation s’est vérifiée trois ans plus tard sur le circuit de Bourgogne, où Janine Jennky, sur une Bugatti Type 35C, s’est imposée pour la première fois devant ses homologues masculins. Puis vient, dès 1930, la première participation féminine en Sarthe, dans une course à la renommée mondiale.

Marguerite Mareuse, à gauche dans la voiture, courait toujours avec des combinaisons rouges.
Marguerite Mareuse, à gauche dans la voiture, courait toujours avec des combinaisons rouges.

Avant même le jour J, cette singularité dans la liste des engagés attire l’œil des journalistes. « La présence de cette équipe aux 24 Heures ne sera pas l’un des moindres attraits de cette épreuve. » se réjouit L’Auto en avril. Cet engagement est l’œuvre de Marguerite Mareuse, riche héritière de trente ans avec, dans ses bagages, une Bugatti Type 40 taillée pour la catégorie 1.5 litres. Pour mener à bien la mission, Mareuse s’est associée à une certaine Odette Siko, 31 ans, ancienne joueuse de tennis. À l’image de nombreux autres héros de la course, Odette usait d’un nom d’emprunt. Quelques fois « Madame Coville », elle est née Séguin à Paris dans le 10e arrondissement, en l’an 1899. Après 132 tours de course sans ennuis, ces dernières pointent à la septième place, premières en catégorie, et se qualifient pour la coupe Biennale.

Une performance unanimement encensée dans les journaux comme en tribunes. « Une ovation bien méritée salue le passage de la Bugatti n°25 » rapporte L’Auto. En l’espace de 24 heures, Odette et Marguerite deviennent des figures représentantes de l’émancipation féminine. L’Auto va plus loin  : « Décidément, l’automobile est le sport dans lequel les femmes peuvent le plus se montrer les égales des hommes ». Les Britanniques, nombreux au Mans en raison de la domination Bentley, ne manquent pas l’évènement. « Le pilotage précis et régulier de l’équipage […] a ôté les sourires de tout le monde » lit-on dans une rétrospective de Motor.

"Le pilotage précis et régulier de l’équipage […] a ôté les sourires de tout le monde"
Motor
  • Ici au ravitaillement avec la Bugatti Type 40.
  • Cette victoire de catégorie est quelque peu anecdotique ; cette voiture était la seule en classe 1.5 litres au départ. L'autre concurrente, une B.N.C Vedette AER, n'a pas pris le départ en raison d'une casse moteur plus tôt.
  • Ici au ravitaillement avec la Bugatti Type 40.
  • Cette victoire de catégorie est quelque peu anecdotique ; cette voiture était la seule en classe 1.5 litres au départ. L'autre concurrente, une B.N.C Vedette AER, n'a pas pris le départ en raison d'une casse moteur plus tôt.
  • Ici au ravitaillement avec la Bugatti Type 40.
  • Cette victoire de catégorie est quelque peu anecdotique ; cette voiture était la seule en classe 1.5 litres au départ. L'autre concurrente, une B.N.C Vedette AER, n'a pas pris le départ en raison d'une casse moteur plus tôt.
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Ici au ravitaillement avec la Bugatti Type 40.

Les deux femmes sont de retour en 1931, avec moins de succès. Toujours sur la T40, une incompréhension lors d’un arrêt mène à la disqualification tôt dans la course. Quand Mareuse s’arrête pour remettre de l’essence et laisser sa place à Odette, cette dernière est introuvable. En réalité, elle dort dans une voiture non loin des stands. « Pourquoi ne s’affole-t-elle pas ? » aurait crié la pauvre Marguerite selon Motor. Fustigée, Siko reprend les commandes, mais pour une raison inconnue, s’arrête deux tours avant ce qu'autorisait le règlement. Une bourde vite pardonnée, y compris par la presse. « Les deux conductrices ont été [...] admirables et n’avaient personnellement commis aucune faute », les qualifiant plus loin de « pilotes exceptionnelles ».

Une disqualification qui fait mal.
Une disqualification qui fait mal.

Miraculée

L’épopée se poursuit en 1932, cette fois sur une Alfa Romeo 6C-1750 aux côtés de Louis Charavel, alias « Sapiba ». Auteur d’une course sensationnelle, le duo coupe la ligne d’arrivée en quatrième place, de nouveau vainqueur en catégorie. La paire remet le couvert en 1933 suite à cette prouesse. L’équipage progresse bien durant la nuit et s’immisce dans les six premiers. Juste avant sept heures du matin, une averse perturbe le mental des coureurs. Odette Siko, au volant, n’échappe pas au caprice de dame Nature. Dans la section reliant Mulsanne à Indianapolis, l’héroïne perd le contrôle de son Alfa. Le véhicule percute deux pins sur la droite de la piste avant de la traverser pour en toucher un troisième. Retournée, la voiture s’embrase. Les branchages jonchant la piste restreignent la circulation, et nombreux sont les pilotes à manquer de peu l’accident.

Louis Charavel, son coéquipier, originaire du Sud-Ouest, parlait encore le dialecte provençal. C'est en répondant "Sabe pas" (comprenez, "je ne sais pas") à un journaliste qu'il acquit ce surnom.
Louis Charavel, son coéquipier, originaire du Sud-Ouest, parlait encore le dialecte provençal. C'est en répondant "Sabe pas" (comprenez, "je ne sais pas") à un journaliste qu'il acquit ce surnom.

Par chance, Siko est propulsée dans les airs et atterrit sur un gendarme somnolant ! Poignet cassé et jambe partiellement brûlée, elle ne remit plus les pieds aux 24 Heures du Mans. D’avantage orientée rallye, on la retrouve sur les pistes du Monte-Carlo en 1935 - comme copilote - ou lors du prestigieux Paris-Nice 1936. Un an plus tard, elle est engagée par les huiles Yacco afin de réaliser un record de vitesse sur l’anneau de Montlhéry. Quatre femmes (Odette Siko, Hellé Nice, Simone des Forest et Claire Descollas, qui donne son nom à la voiture) emmènent la Claire, une Matford V8 de 3.6 litres, parcourir 30 000 kilomètres à 140 km/h. En découlent 25 records du monde, qui s’ajoutent à son immense palmarès. La Seconde Guerre mondiale met fin à sa carrière et Odette nous quitte en 1984.

  • Un accident pour le moins spectaculaire.
  • Une dernière participation ambitieuse, qui n'aboutit jamais.
  • Un accident pour le moins spectaculaire.
  • Une dernière participation ambitieuse, qui n'aboutit jamais.
  • Un accident pour le moins spectaculaire.
  • Une dernière participation ambitieuse, qui n'aboutit jamais.
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Un accident pour le moins spectaculaire.

Assurément, Odette Siko a définitivement ouvert la voie et inspiré d’autres à faire de même. En 1935, dix femmes se présentaient au départ, toutes saluées par l’intermédiaire de La revue des usagers de la route, publiée sous la direction de Georges Durand. Depuis, nombreuses sont celles qui ont contribué à l’écriture du grand livre des 24 Heures. Ces dernières années, les fameuses Iron Dames ont brillé de mille feux sur la scène internationale, jusqu’à remporter une manche du Championnat du monde d’endurance FIA WEC en 2023, sous les spotlights de Bahreïn. Bien sûr, elles seront encore de la partie lors de la 92e édition des 24 Heures du Mans les 15 et 16 juin 2024. Près d’un siècle plus tard, l’héritage d’Odette Siko et de toutes celles qui ont suivi est grandiose.

Deborah Mayer, la fondatrice du projet Iron Dames, sera saluée aux 24 Heures du Mans 2024 du trophée Spirit of Le Mans, destiné à saluer ceux qui portent haut les valeurs de l'endurance.
Deborah Mayer, la fondatrice du projet Iron Dames, sera saluée aux 24 Heures du Mans 2024 du trophée Spirit of Le Mans, destiné à saluer ceux qui portent haut les valeurs de l'endurance.

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