Qui était ce vainqueur mystérieux ?
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Qui était ce vainqueur mystérieux ?

Il suffit de jeter un œil à la liste des vainqueurs des 24 Heures du Mans pour déceler un dénominateur commun ; tous étaient de très grands pilotes. De Fernando Alonso à Tazio Nuvolari en passant par Jacky Ickx, des noms légendaires jonchent l’histoire de la plus grande course d’endurance. Pourtant, un patronyme n’est pas comme les autres. En 1985, aux côtés des excellents Klaus Ludwig et Paolo Barilla, figure un certain « John Winter », entre guillemets. Derrière cet alias se cache l’histoire d’un vainqueur mystérieux, certes, mais ô combien touchant et grandiose !

Pour maman

À l’aube des années 1950, la somptueuse ville de Brême, située dans le nord-ouest de l’Allemagne, se remet paisiblement des dégâts infligés par les alliés lors de la Seconde Guerre mondiale. Loin du fleuve Weser qui fait vivre la cité, la famille Krages perpétue sa tradition. Depuis la fin du conflit, cette importante et riche fratrie tente de faire renaître son business de ses cendres. À savoir, l’exploitation, la transformation et la vente de bois. Au cœur de la Landhaus Krages, la villa familiale, le jeune Louis n’a beau vivre que depuis quelques années, il connaît déjà sa destinée. Comme son père – qu’il a peu connu – et son grand-père du même nom, il est fait pour parler conifères et feuillus.

Et pourtant, d’autres activités le passionnent ; la course automobile est l’une d’entre elles. C’est ainsi qu’une fois la vingtaine venue, il assouvit sa curiosité en découvrant le merveilleux monde des paddocks. Afin de ne pas faire peur à sa mère, qui aurait peut-être trouvé cette activité dangereuse, et aussi pour ne pas attirer toute l’attention des médias en raison de son patronyme prestigieux, il opte pour un faux nom. À l’origine, il choisit « Peter Wood ». Sympathique, mais trop évocateur. Finalement, il se rabat sur « John Winter », sans signification particulière. Lorsqu’il s’échappe du domaine, il prétend qu’il va à un mariage, ou qu’il sort avec des amis. C’est ainsi que la notoriété régionale de Louis grandit jusqu’à sa première participation aux 24 Heures du Mans.

Âgé de 28 ans en 1978, il court en DRM, le championnat de voitures de tourisme allemand, sur une Porsche 935-77 engagée par Kremer Racing. Coup de chance, la fameuse équipe est aussi inscrite aux 24 Heures. Aux côtés de Dieter Schornstein et Philippe Gurdjian, Louis Krages ne parvient pas à compléter la distance suffisante pour être classé.

  • Sur une magnifique 935, Krages découvre les 24 Heures en bonne compagnie ! Philippe Gurdjian, gentleman driver et futur organisateur de Grands Prix, est l'un des plus fameux acteurs de l'ombre de la Formule 1 des années 1980 à 2000.
  • Pierre Levegh, Hellé Nice, "Sapiba"... les surnoms ou noms d'emprunts étaient courants en sports mécaniques. Parfois pour la blague, parfois pour cacher la véritable identité du coureur à la famille. Ceci dit, cela devient rare dans les années 1980.
  • La Porsche 935/77 #45 au départ du double tour d'horloge.
  • Sur une magnifique 935, Krages découvre les 24 Heures en bonne compagnie ! Philippe Gurdjian, gentleman driver et futur organisateur de Grands Prix, est l'un des plus fameux acteurs de l'ombre de la Formule 1 des années 1980 à 2000.
  • Pierre Levegh, Hellé Nice, "Sapiba"... les surnoms ou noms d'emprunts étaient courants en sports mécaniques. Parfois pour la blague, parfois pour cacher la véritable identité du coureur à la famille. Ceci dit, cela devient rare dans les années 1980.
  • La Porsche 935/77 #45 au départ du double tour d'horloge.
  • Sur une magnifique 935, Krages découvre les 24 Heures en bonne compagnie ! Philippe Gurdjian, gentleman driver et futur organisateur de Grands Prix, est l'un des plus fameux acteurs de l'ombre de la Formule 1 des années 1980 à 2000.
  • Pierre Levegh, Hellé Nice, "Sapiba"... les surnoms ou noms d'emprunts étaient courants en sports mécaniques. Parfois pour la blague, parfois pour cacher la véritable identité du coureur à la famille. Ceci dit, cela devient rare dans les années 1980.
  • La Porsche 935/77 #45 au départ du double tour d'horloge.
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Sur une magnifique 935, Krages découvre les 24 Heures en bonne compagnie ! Philippe Gurdjian, gentleman driver et futur organisateur de Grands Prix, est l'un des plus fameux acteurs de l'ombre de la Formule 1 des années 1980 à 2000.

Porsche dans le sang

Sa mère n’est pas au courant, et pourtant, John Winter sillonne le monde toujours avec les frères Kremer, et donc, avec des Porsche. Sauf à une occasion. En 1979, il se retrouve dans une BMW M1 Procar le temps d’une course, sans grand succès. Il revient naturellement en Sarthe, accompagné par Gurdjian et Alex Plankenhorn sur une très performante Porsche 935-K3. Cette fois, c’est beaucoup mieux. Le trio réalise le septième temps lors des essais qualificatifs, suivi d’une cinquième position en catégorie Groupe 5 SP à l’arrivée. Tout cela en dépit d’un début d’incendie heureusement maîtrisé par un commissaire avant la tombée de la nuit.

Kremer Racing le conserve en DRM, mais ne l’aligne plus aux 24 Heures du Mans. Pendant quatre ans, « John Winter » peine à trouver sa place, et ne fait que quelques apparitions choisies. En 1983, il découvre la Porsche 956 avec le Joest Racing. Le monstre du Groupe C est difficile à maîtriser, si bien qu’il lui faut un an pour en dompter les moindres subtilités. L’équipe de Reinhold Joest, cependant, est très performante. En Interserie – un autre championnat de voitures de sport allemand – comme en championnat du monde, Louis Krages se fait la main. Le voici de retour au Mans en 1984, sur une 956 du Joest Racing rachetée par son compère Dieter Schornstein. Volkert Merl complète l’équipage 100 % allemand. Au final, une cinquième place au classement général le pousse à continuer, même s’il n’est pas un pilote comme les autres.

Une heure quinze de bonheur

Louis Krages est un gentleman driver, qui participe peu aux essais et aux réglages des voitures qu’il conduit. Il ne s’est jamais présenté ou senti comme un véritable pilote professionnel, bien qu’il partageait ses prototypes avec de véritables pointures. Cette même année 1984, Joest Racing remporte les 24 Heures du Mans en l’absence des Porsche d’usine ; comme quoi, il y a une carte à jouer. Joest fait appel à Krages pour l’édition 1985, cette fois sur la 956B #7 qui s’était imposée un an plus tôt. Paolo Barilla – comme les pâtes – et Klaus Ludwig, vainqueur en ‘84, l’accompagnent. À vrai dire, il n’est là qu’en cas de pépin, car sa place est payée. Les nouvelles Porsche 962C d’usine sont redoutables, mais l’ardeur du règlement en matière de consommation les pousse à ne pas tout donner dès le début.

Décorées par NewMan, les Porsche 956 de l'écurie Joest ont acquis un statut légendaire au fil du temps.
Décorées par NewMan, les Porsche 956 de l'écurie Joest ont acquis un statut légendaire au fil du temps.

S’installe un petit jeu. La Porsche 956B #7 de Joest et celle attribuée au Richard Lloyd Racing se suivent, se doublent très proprement, comme si elles voulaient s’échanger la première position pour moins consommer d’essence. Krages, lui, nie tout accord entre les deux formations. Paolo Barilla et Klaus Ludwig enchaînent les relais ; ils disputent la tête. Toute l’équipe commence à y croire à mesure que les 962C officielles abandonnent. « John Winter », dont le nom est présent sur la carrosserie, reste au box. Pourtant, à neuf heures du matin, quand Joest est quasiment certain de l’emporter, Jean-Claude Andruet éclate un pneu sur sa WM à Mulsanne. La safety-car est déployée, et avec elle, Louis Krages est envoyé au volant pour économiser les deux pros. Pendant une heure quinze, l’Allemand est seul dans le cockpit, profitant d’instants uniques dans une vie. Les 24 Heures l’ont sacré. Il est loin d’être la star, c’est certain, mais c’est déjà trop. De retour en Allemagne, il n’ose sortir, prend garde à ne pas se faire reconnaître, toujours sous sa casquette.

  • Le châssis 956-117 est entré dans l'histoire. Rares sont les modèles qui comptent deux victoires aux 24 Heures du Mans...
  • ... et à chaque fois avec le n°7 ! Plus tard, ce numéro porte-bonheur (appelé lucky number seven) a souvent été arboré par des voitures exploitées par le Joest Racing. Parfois avec grand succès, comme en 1996 et 1997.
  • Le châssis 956-117 est entré dans l'histoire. Rares sont les modèles qui comptent deux victoires aux 24 Heures du Mans...
  • ... et à chaque fois avec le n°7 ! Plus tard, ce numéro porte-bonheur (appelé lucky number seven) a souvent été arboré par des voitures exploitées par le Joest Racing. Parfois avec grand succès, comme en 1996 et 1997.
  • Le châssis 956-117 est entré dans l'histoire. Rares sont les modèles qui comptent deux victoires aux 24 Heures du Mans...
  • ... et à chaque fois avec le n°7 ! Plus tard, ce numéro porte-bonheur (appelé lucky number seven) a souvent été arboré par des voitures exploitées par le Joest Racing. Parfois avec grand succès, comme en 1996 et 1997.
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Le châssis 956-117 est entré dans l'histoire. Rares sont les modèles qui comptent deux victoires aux 24 Heures du Mans...

Fini les cachotteries

Forcément, il est difficile de se cacher après avoir remporté la plus grande course du monde. Sa mère découvre son fils vainqueur dans un journal, mais à la surprise de celui-ci, elle est très heureuse et l’encourage à continuer. Elle suit même ses exploits à la télé. Il n’a beau avoir piloté qu’un peu plus d’une heure, les opportunités se multiplient. Il est de retour au Mans avec Ludwig et Barilla en 1986. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la 956 #7 Joest joue encore la gagne face aux officielles. Mais cette fois, une casse moteur met fin à l’aventure très tôt le dimanche matin. Ce n’est pas le meilleur, mais au fil des années, Louis Krages acquiert une connaissance assez pointue du prototype Porsche. Il continue de parcourir le globe en quête de podiums, laissant s’exprimer sa passion.

Après une belle année 1987, il dispute de nouveau le double tour d’horloge en 1988. Sa place est financée par Blaupunkt, un célèbre fabricant d’électronique allemand. Toujours chez Joest, bien entendu. Cette fois, lui aussi peut monter dans la 962C #8, l’évolution de la 956. Avec Frank Jelinski et Stanley Dickens, Krages est encore en lice pour un très bon résultat. Sa course se solde par une héroïque troisième place, impressionnante au vu de la concurrence constituée par l’équipe Porsche officielle et Jaguar.

  • Louis Krages venait d'une famille aisée, mais il a toujours affirmé n'avoir jamais rien déboursé pour courir. Sa place était payée, certes, mais par des sponsors comme Minolta ou Blaupunkt.
  • N'était-il pas un porte-bonheur ? Lui-même ne se considérait pas comme un top-pilote, mais son équipe a tout de même été en très bonne position trois fois, en 1985, 1986 et 1988 ! Suffisamment rare pour être noté.
  • En réalité, il était un excellent pilote. En cette même année 1988, il remporte la Porsche Cup, qui compte, à son palmarès, des géants : Henri Pescarolo, Bob Wollek, Jochen Mass ou Klaus Ludwig.
  • Louis Krages disait souvent qu'il était celui qui avait le plus souvent piloté les Porsche 956/962C ! En effet, il connaissait le prototype sur le bout des doigts.
  • Louis Krages venait d'une famille aisée, mais il a toujours affirmé n'avoir jamais rien déboursé pour courir. Sa place était payée, certes, mais par des sponsors comme Minolta ou Blaupunkt.
  • N'était-il pas un porte-bonheur ? Lui-même ne se considérait pas comme un top-pilote, mais son équipe a tout de même été en très bonne position trois fois, en 1985, 1986 et 1988 ! Suffisamment rare pour être noté.
  • En réalité, il était un excellent pilote. En cette même année 1988, il remporte la Porsche Cup, qui compte, à son palmarès, des géants : Henri Pescarolo, Bob Wollek, Jochen Mass ou Klaus Ludwig.
  • Louis Krages disait souvent qu'il était celui qui avait le plus souvent piloté les Porsche 956/962C ! En effet, il connaissait le prototype sur le bout des doigts.
  • Louis Krages venait d'une famille aisée, mais il a toujours affirmé n'avoir jamais rien déboursé pour courir. Sa place était payée, certes, mais par des sponsors comme Minolta ou Blaupunkt.
  • N'était-il pas un porte-bonheur ? Lui-même ne se considérait pas comme un top-pilote, mais son équipe a tout de même été en très bonne position trois fois, en 1985, 1986 et 1988 ! Suffisamment rare pour être noté.
  • En réalité, il était un excellent pilote. En cette même année 1988, il remporte la Porsche Cup, qui compte, à son palmarès, des géants : Henri Pescarolo, Bob Wollek, Jochen Mass ou Klaus Ludwig.
  • Louis Krages disait souvent qu'il était celui qui avait le plus souvent piloté les Porsche 956/962C ! En effet, il connaissait le prototype sur le bout des doigts.
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Louis Krages venait d'une famille aisée, mais il a toujours affirmé n'avoir jamais rien déboursé pour courir. Sa place était payée, certes, mais par des sponsors comme Minolta ou Blaupunkt.

Une fin malheureuse

La quarantaine passée, l’Allemand ne ralentit pas le moins du monde. De 1989 à 1993, il participe aux 24 Heures à quatre reprises, sans jamais trahir son équipe de cœur. La majorité de ces engagements se solde par des abandons, mais pourtant, il reste dans le coup. En plus de la Porsche Cup, qu’il remporte en 1988 et 1991, il triomphe des 24 Heures de Daytona aux côtés de Jelinski, Hurley Haywood, Henri Pescarolo et Bob Wollek. Louis Krages s’éloigne des prototypes fin 1993 pour se concentrer sur une nouvelle aventure. Joest Racing le recrute pour son programme de DTM, le fameux championnat de tourisme allemand suppléant du DRM.

Winter évolue avec les non moins célèbres Opel Calibra V6 4x4. Sur le circuit d’AVUS, près de Berlin, Krages perd le contrôle de l’Opel en début de course ; elle est projetée à vive allure dans les barrières et prend feu instantanément. Miraculeusement, il s’en sort indemne. L’Allemand remet les gants une dernière fois en 1995, sur Mercedes-Zakspeed en DTM, cette fois en arborant fièrement le nom de « Krages » sur la vitre arrière de sa Classe C V6.

Sur les quatre participations entre 1989 et 1993, il n'a vu l'arrivée qu'une fois ; en huitième position lors de l'édition 1990. En 1993, sur la 962C en photo à gauche, le moteur fit défaut à l'équipe le dimanche matin.
Sur les quatre participations entre 1989 et 1993, il n'a vu l'arrivée qu'une fois ; en huitième position lors de l'édition 1990. En 1993, sur la 962C en photo à gauche, le moteur fit défaut à l'équipe le dimanche matin.

Depuis l’accident, rien n’est plus pareil. L’entreprise familiale connaît de grandes difficultés financières malgré son prestige. Au milieu des nineties, il est forcé de vendre la boîte au géant Finnforest – désormais Mestä Group, le géant du bois finlandais. Divorcé de sa deuxième femme, il désire renouer avec le bois, afin de le transformer en jouets pour enfants. Il déménage à Atlanta, aux États-Unis, dans le but d’accomplir ce nouveau rêve, mais la sauce ne prend toujours pas. Lancé en 1997, Evertoys est un échec.

En janvier 2001, la police découvre son corps sans vie. Les circonstances du décès sont troubles, mais les multiples investigations menées par l’Atlanta Police Department privilégient la piste du suicide.

L’histoire de Louis Krages, c’est avant tout l’histoire d’une passion, plus que d’un pilote encore. Celle d’un homme qui refuse sa destinée héritée pour se lancer de grands défis, celle d’un homme qui parvient à accepter son rôle dans une société à petite échelle. Dans les livres, « John Winter » brille, seul, comme une anomalie, au palmarès des 24 Heures du Mans.

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